CHRONIQUE DE FARMACE RHAIDEN SUR LA PAGE FACEBOOK (23/06/2013)
Le premier roman, celui qui nous fait rencontrer un auteur pour la toute première fois, est semblable à la première impression que l’on a face à une personne. Souvent, cette première impression se révèlera décisive sur notre future relation à cette personne, et dans le cas présent, à cet auteur. Son style, ses thèmes de prédilections, la qualité de son histoire, les détails...
Inconsciemment, on creuse beaucoup plus lorsque c’est la première fois.
En cela, Dark Moon, roman avec lequel j’ai découvert David Gemmell, fut une rencontre pour le moins explosive, et le début d’une longue amitié par livre interposé avec cet auteur britannique.
Le scénario en quelques mots : autrefois vivaient les Eldarins, peuple de grands magiciens et musiciens, philosophes et artistes totalement non violents, et apprentis d’une autre race aujourd’hui disparus, les Oltors. Cette race fut en effet éradiquée par les Daroths, étranges et génocidaires créatures carnivores (et accessoirement anthropophage), dont la civilisation est fondée sur la conquête permanente. Immenses, extrêmement résistants, ces monstres disparurent grâce aux Eldarins, qui eux même disparurent quand les humains vinrent leur chercher querelle.
Il n’est pas ici question d’éradication, mais bien de disparition : ils se volatilisèrent, ne laissant derrière eux qu’une perle noire…
Ici commence l’histoire proprement dite. Les humains sont désormais seuls habitants du monde et règnent en maîtres. Les quatre duchés se livrent une guerre sans merci, ceci dans le but de posséder ladite perle, source d’interrogations et de convoitises pour les seigneurs et magiciens. Alors que la perle subit de la part de son actuel possesseur une nouvelle attaque magique, le monde tremble. Quelque part au sein du pays, une immense ville vient d’apparaître, sous une lune noire d’ébène. Les Daroths sont de retours.
Certes, de prime abord, on peut craindre que l’idée d’une ancienne menace qui refait surface forçant les ennemis d’hier à devenir les alliés d’aujourd’hui ne soit éculée, déjà vue, et en somme, caricaturale.
En cela on est rapidement détrompée par la nature froide des Daroths qui sont totalement en dehors de notions telles que le bien et le mal.
En effet, cette race de puissants guerriers n’est pas en tant que telle « démoniaque » au sens traditionnel du terme. Ils sont simplement poussés par un égoïsme leur faisant voir ce qui est bien pour eux seuls comme « le bien », et ce qui les retarde ou s’oppose à eux comme « le mal ». En cela on s’éloigne du cliché du méchant dévoué à un culte infernal prenant son plaisir dans la souffrance et autres joyeusetés, ce qui est déjà un bon point. Ce n’est toutefois certainement pas là que ce roman se révèle être de grande qualité.
Ce qui fait de Dark Moon un roman exceptionnel réside dans ses personnages hauts en couleurs, profonds, complexes, non-manichéens, attachants, puissants…
Dans ce roman réside peut-être la quintessence de ce que Gemmell aura su concevoir de plus abouti en termes de personnages. Tarentio, bretteur mercenaire d’exception ; Karis, jeune capitaine d’une troupe de mercenaires, collectionneuses d’amants et fine tacticienne ; Duvodas, harpiste exceptionnel ayant été élevé par les doux Eldarins peu avant qu’ils ne se volatilisent, et porteur d’une magie au potentiel insoupçonné… les personnages prenant rapidement de l’importance, tant dans l’action elle-même que dans la part sentimentale qu’ils apportent à l’intrigue, sont trop nombreux pour être tous cités.
Nobles, guerriers, inventeurs, courtisanes, magiciens ou mercenaires, ont tous une part de ce qui rend le récit agréable à lire. L’un d’entre eux ne peut cependant être ignoré : Dace, la seconde âme de Tarentio. Ici réside un point clef du roman, conférant à Tarentio une double aura, à la fois héroïque et inquiétante, bonne et malsaine, ambigüe et changeante. Le héros n’est pas seulement un « gentil », mais recèle une part d’ombre qui prend vie indépendamment pour mieux transcender le personnage. Doublement intéressant, Dace/Tarentio est un savant mélange de héros et d’antihéros coincés en un seul et même corps. Là où chaque personnage apporte au récit une subtilité qui lui est propre, on appréciera l’honorable Tarentio, de même que l’on se surprendra à rire avec Dace lorsqu’il brise os et membre.
Concernant le style même, on ne peut que dire « c’est du Gemmell ».
Les combats sont intenses et bien menés, les scènes de discussion, et plus globalement tout ce qui n’est pas du ressort du combat, n’est jamais ennuyeux. On prend le temps de s’attacher aux personnages en quelques pages à peine, et l’alternance de brutalité guerrière, d’intrigue politique et commerciale, de trahison, d’amour, et même d’érotisme, nous procurent un tableau pour ainsi dire complet de ce que la Fantasy Gemmellienne peut offrir de meilleur.
Le lecteur qui ne connait pas encore Gemmell se fera un plaisir de le découvrir avec cette fresque aussi belle que forte, tandis que l’habitué de cet écrivain retrouvera en moins de 350 pages tout ce qui fait de Gemmell un éternel incontournable de ce genre. Dark Moon peut sans aucun doute figurer dans la catégorie des livres qu’on peut lire et relire avec un plaisir sans cesse renouvelé.
Il s’agit sans conteste de l’un des meilleurs romans isolés de cet auteur, si ce n’est le meilleur tout court.
Seule ombre au tableau : son faible nombre de pages qui nous laisse une vague impression de frustration.
Aimer le style Gemmellien est une condition sine qua non pour apprécier cet ouvrage, c’est une évidence, aussi conviendra-t-il de rappeler qu’une intrigue complexe et une grande subtilité scénaristique ne sont pas ce qui fait la force de ce roman.
A consommer sans modération si vous aimez la Fantasy qui va droit au but sans pour autant ne constituer qu’une succession incessante de combats.